- ÉGYPTE DEPUIS L’ISLAM - L’Égypte coloniale
- ÉGYPTE DEPUIS L’ISLAM - L’Égypte colonialeLes «siècles obscurs» qui commençaient, pour l’Égypte, en 1517, avec la conquête ottomane, s’achèvent brusquement, à la fin du XVIIIe siècle, par l’invasion de Bonaparte. Sous la domination des pachas turcs puis sous celle des beys mamelouks, le pays s’était progressivement appauvri et affaibli. L’admirable système d’irrigation, faute d’entretien, se dégradait, entraînant la ruine de l’agriculture et du commerce. Désormais, à la fin du XVIIIe siècle, les ressources de l’économie égyptienne servent moins à la prospérité du pays qu’aux besoins d’une poignée de dirigeants mamelouks préoccupés de leurs luttes locales ou personnelles. Les institutions politiques affaiblies par la décadence du pouvoir central s’effondrent au premier choc.Épuisée par les divisions intestines et par le gaspillage de ses ressources, l’Égypte se trouve incapable de résister, en 1799, à l’invasion française. Après le long déclin qui la précède, celle-ci marque un tournant dans l’histoire du pays qu’elle fait entrer dans la «modernité». L’Égypte abandonne alors un système politique et économique médiéval et tente de s’adapter aux progrès de l’histoire, activement, audacieusement, sous Mu ムammad ‘Al 稜 et Ism ‘ 稜l, avec des à-coups et des reculs durant les autres règnes. Elle se heurte à des difficultés considérables, nées certes de l’amplitude des clivages, mais surtout du caractère «importé» des idées nouvelles et des techniciens dans un pays où l’Islam est profondément mêlé à la vie politique et quotidienne, cela au moment même des pressions puis de l’occupation étrangères. On va donc assister à un progrès matériel et technique plus rapide que le développement intellectuel et culturel du pays, d’où une résistance émotionnelle des esprits à la culture moderne, un attachement à la tradition et le sentiment d’une continuité dans la lutte séculaire contre l’ennemi chrétien. D’où aussi la diffusion, au milieu du XIXe siècle, des idées pan-islamiques d’un Djam l al-D 稜n al-Afgh n 稜 et d’un Mu ムammad ‘Abduh, favorisée par la foi des masses d’émigrants ruraux venus dans les villes. L’emprise religieuse assure celle de la tradition et s’oppose aux nouvelles conceptions des rapports humains. Avec l’arrivée des Français, l’heure des choix a sonné, aisés dans la révolte populaire contre l’envahisseur français ou anglais, de plus en plus délicats quand devra se décider, dans la stabilisation d’une semi-indépendance, l’avenir politique et économique du pays.1. L’occupation françaiseL’armée, dirigée par Bonaparte, débarque le 1er juillet 1798 à Aboukir. La jeune République française voit en l’Égypte moins, peut-être, une colonie à exploiter qu’une carte à jouer dans la guerre qui l’oppose à l’Angleterre. Bonaparte, ambitieux et encore imprégné d’idéal révolutionnaire, aspire à suivre l’exemple des grands conquérants, mais aussi à régénérer cette «terre antique». Il amène avec son armée une équipe ardente de savants chargés de doter le pays de techniques modernes et de faire œuvre civilisatrice. La destruction de sa flotte par Nelson, à Aboukir, le coupe de la métropole et le contraint à ne compter que sur lui-même. Il organise l’administration selon des principes européens et en faisant appel à une représentation populaire. Un conseil général (al-d 稜w n al-‘ mm), formé d’ulémas, de notables et de commerçants délégués des diverses provinces, coiffe les conseils régionaux et se trouve chargé de «trancher des affaires du pays». Mais les initiatives du conseil, sous l’impulsion des Français qui, par souci d’équité, tentent de mieux répartir la charge de l’impôt foncier en exigeant des titres de propriété souvent inexistants parce que la propriété du sol était établie sur l’usage, cristallisent le mécontentement populaire et provoquent, le 21 octobre 1798, un soulèvement général.Bien que provisoirement vaincue, la résistance se durcit. Elle inquiète Bonaparte. Il décide d’en poursuivre les chefs, les Mamelouks, jusque dans leur retraite de Syrie, et part en février 1799. Après avoir pris al-‘Arish, Gaza, Jaffa, il met le siège devant Acre, le 18 mars 1799. Tenu en échec deux mois durant, éloigné de ses bases et alarmé par les nouvelles d’Europe, il finit par lever le siège. Peu après son retour au Caire, désireux de retourner en France, Bonaparte s’embarque, le 23 août 1799, laissant l’Égypte à l’administration du général Kléber. Celui-ci, en butte aux attaques incessantes des Ottomans, des Mamelouks et des Anglais, et à des mouvements populaires, sera assassiné le 14 juin 1800. Le général ‘Abd All h Menou, Français converti à l’islam, lui succède.Au cours des trois années de l’occupation française, la construction et la réparation des citadelles, des magasins et des réservoirs d’eau se poursuivent dans toute l’Égypte, «même dans les provinces du Sa‘ 稜d méridional», rapporte l’historien égyptien Jabarti, contemporain des événements. Les finances sont réorganisées: au système de l’iltiz m se substitue une organisation de fonctionnaires français chargés de percevoir les taxes. L’impôt uniformisé est équitablement appliqué selon la qualité des terres. On entreprend le recensement des personnes. Un conseil de commerce, formé de négociants musulmans et chrétiens, juge des affaires commerciales sans entraves. En effet, les circonstances viennent de libérer artisans et commerçants des janissaires et autres membres de l’armée qui, naguère encore, imposaient impunément leur «protection» en échange d’une part des bénéfices et n’étaient justiciables que des seuls tribunaux de l’armée, échappant de la sorte à toute justice civile.Ainsi, du jour au lendemain, ulémas et notables locaux enlèvent aux anciens dirigeants turcs et mamelouks la gestion administrative et judiciaire du pays, et jouissent d’un pouvoir perdu depuis la conquête ottomane.Mais l’occupant n’en reste pas moins un corps étranger intolérable. La population le refoule, aidée par les Anglais hostiles à l’installation des Français en Égypte. Finalement Menou, assiégé par les forces britanniques, se rend le 2 septembre 1801, à des conditions honorables. L’armée française quitte le pays.2. Mu size=5ムammad ‘Al size=5稜Ce départ laisse deux adversaires en présence. D’un côté, les Turcs veulent recouvrer leur autorité légale, de l’autre, les Mamelouks entendent reprendre le pouvoir. Les Anglais, entre les deux rivaux, prétendent au rôle d’arbitre. N’aspirant qu’à en déloger les Français, ils ne cherchent pas à se maintenir dans le pays. Le 11 mars 1803, les troupes anglaises quittent Alexandrie peu après qu’un représentant du sultan de Constantinople fut redevenu gouverneur de l’Égypte. Mais celui-ci, harcelé par ses rivaux, ne tarde pas à être destitué par Mu ムammad ‘Al 稜 (Méhémet Ali), général de la brigade des Albanais, qui pactise avec les chefs mamelouks.Les ulémas, toutefois, ne se résignant pas à perdre le droit, récemment retrouvé, de participer à la gestion du pays, se soulèvent dans la capitale contre les abus des chefs mamelouks. Mu ムammad ‘Al 稜, avec ses Albanais, se range alors à leurs côtés contre ses anciens alliés. À la suite d’une supplique des ulémas demandant à la Porte Mu ムammad ‘Al 稜 pour pacha d’Égypte, il est agréé par le sultan et devient le chef du pays le 9 juillet 1805.Pendant près de six ans, le nouveau pacha cherche à affermir son autorité. Il attaque les Mamelouks dont il finit d’anéantir la puissance. Il écarte également, en les condamnant à mort ou en les exilant, les principaux ulémas, instruments de sa prodigieuse promotion.Politique extérieureLa Porte fait pression pour l’entraîner dans les guerres où elle est engagée. Dans l’espoir de recevoir les faveurs de son suzerain sous forme d’acquis territoriaux, par ambition personnelle et amour du prestige aussi, Mu ムammad ‘Al 稜 accepte. Pendant sept ans, de 1811 à 1818, ses troupes combattent les Wahh bites d’Arabie et occupent les villes saintes de l’Islam: La Mecque et Médine (1812). Mais l’occupation, pour prestigieuse qu’elle soit aux yeux des musulmans du monde entier, épuise l’Égypte et suscite l’hostilité de l’Angleterre inquiète pour la sécurité de la route des Indes.De 1820 à 1823, enhardi par ses succès, le pacha attaque pour son compte le Soudan. Il veut contrôler le cours supérieur du Nil, les relais des caravanes en provenance d’Afrique centrale, ouvrir de nouveaux marchés à sa jeune industrie et pourvoir son armée en esclaves noirs. Après avoir fondé Khartoum en 1822, il conquiert l’est du pays jusqu’à la mer Rouge dont la plus grande partie est, dès lors, placée sous la domination égyptienne, ce qui n’était pas fait pour améliorer les sentiments de l’Angleterre à l’égard du pacha.De 1823 à 1827, il participe à la campagne de Grèce, à la demande du sultan, en Crète (1823) et en Morée (1825-1826). Alliées à la Grèce, la France, l’Angleterre et la Russie détruisent la flotte turco-égyptienne dans la baie de Navarin (20 octobre 1827). En dédommagement de la perte de sa marine, Mu ムammad ‘Al 稜 réclame des compensations territoriales, nommément la Syrie ; le sultan refuse.Dès 1831, il décide d’envahir la Syrie. L’armée est dirigée par son fils aîné et héritier Ibr h 稜m, aidé de Soliman pacha (le colonel français de Seves). Les conquêtes sont foudroyantes. Après avoir défait les troupes turques, l’armée égyptienne menace Constantinople et tout l’Empire ottoman, en août 1832. Le sultan s’incline. Par la paix de Kütahya, en mai 1833, le pacha obtient la Palestine, toute la Syrie et le district d’Adana. Son domaine s’étend du sud du Soudan aux frontières de l’Anatolie. Une telle expansion irrite les puissances européennes, et en particulier l’Angleterre. Celle-ci, afin d’assurer la sécurité de son commerce avec l’Extrême-Orient, occupe Aden en 1838.En 1839, encouragée par l’Occident, la Porte fait avancer ses troupes en Syrie. Cette deuxième «guerre de Syrie» aboutit à de nouvelles victoires égyptiennes et fait peser une seconde menace sur Constantinople. Mais, prenant vigoureusement parti pour la Turquie dans ce qu’on appelle la «question d’Orient», c’est-à-dire la lutte ouverte entre la Porte et l’Égypte, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, la Prusse imposent leur médiation, le 27 juillet 1839. La France est accusée de partialité en faveur de Mu ムammad ‘Al 稜. Celui-ci, afin de calmer l’hostilité de l’Angleterre et de regrouper ses forces, évacue l’Arabie au mois d’avril 1840. La protection de la France lui permet d’obtenir, le 10 décembre 1840, le pouvoir héréditaire en Égypte et la gestion viagère du Soudan en contrepartie de la cession de la Syrie, de la réduction de son armée à 18 000 hommes et de la suppression de sa marine.Dès lors, vieilli, dépouillé de ses forces militaires, soucieux d’assurer le pouvoir à sa dynastie, il se résigne à ne plus dépasser les limites qui lui sont assignées, tant dans sa politique extérieure qu’intérieure.Politique intérieureÀ l’intérieur du pays sont intervenues des réformes révolutionnaires. L’administration centrale et provinciale est refondue. Au Caire, les conseils font place à des «ministères». Les anciennes circonscriptions sont regroupées en sept provinces (mud 稜riyya) dirigées par un gouverneur (mud 稜r), toujours turc, et divisées en soixante-quatre départements ayant chacun à leur tête un ma’m r , sorte de préfet d’abord turc puis le plus souvent indigène, à partir de 1834. Le système des canaux se substitue avec profit, en Basse-Égypte, au système traditionnel de l’inondation par bassins qui, en Haute-Égypte, est amélioré. Les anciens canaux sont régulièrement entretenus et de nouveaux sont creusés, dont le plus fameux, le canal de Mahmoudieh, joint Alexandrie au Nil.Au début du règne, les guerres napoléoniennes avaient permis à Mu ムammad ‘Al 稜, en dépit des interdits opposés par la Porte à l’exportation des céréales, de vendre des quantités importantes de blé égyptien sur les marchés européens. Les revenus considérables ainsi obtenus sont consacrés en partie au développement de l’armée et de la marine qui, en expansion jusqu’en 1841, seront les principaux consommateurs de la production locale.L’organisation économique va alors subir un changement de structures. Pendant près de trente ans, un dirigisme économique des plus rigoureux sera imposé au pays, grâce à la présence de techniciens anglais et surtout français, appelés par Mu ムammad ‘Al 稜.Par le monopole des terres, instauré de 1808 à 1811, le pacha devient pratiquement le seul propriétaire foncier de l’Égypte. Il s’approprie les biens de mainmorte (waqf ) et n’accepte de concéder de terrains incultes à des Turcs et à des Européens qu’à partir de 1836. Ces fermes d’État (shifliq ) sont confiées à des paysans pour une exploitation planifiée par le gouvernement. Celui-ci indique chaque année les ensemencements à faire, achète les récoltes, les fait transporter dans les dépôts, les revend à des prix fixés par lui. À partir de 1836, toutefois, le cultivateur pourra à nouveau disposer, contre redevances, de ses récoltes de céréales. Ce dirigisme favorise, dès 1822, la culture intensive – conseillée par le Français Jumel – du coton à longue fibre, ainsi que celle du lin, du chanvre, des céréales et l’introduction de l’olivier, du mûrier, de l’opium.Dépassant le niveau de la consommation locale, l’agriculture s’oriente dès lors vers une économie de marché, en développant de manière permanente le secteur des cultures exportables. Provisoirement, la matière première ainsi fournie favorise, sous Mu ムammad ‘Al 稜, la création d’industries de transformation.L’industrie devient également monopole d’État, au détriment de l’artisanat local qui, progressivement à partir de 1816, est supplanté par les usines du gouvernement, réparties, dans un effort de décentralisation, sur l’ensemble du pays, à proximité des matières premières et des sources de main-d’œuvre. Mais une mauvaise gestion ruinera les effets de l’industrialisation. Les raisons politiques s’ajouteront aux raisons économiques pour favoriser le retour à la liberté d’entreprise, les puissances européennes étant hostiles au principe de l’étatisation qui limitait les privilèges de leurs ressortissants et l’application des capitulations. En 1834, le monopole d’État sur les tissus est aboli. Les entreprises acquièrent une autonomie de gestion et les artisans reprennent le travail à domicile moyennant un droit élevé perçu sur chaque métier à tisser. Les usines de l’État sont affermées. Dès 1841, enfin, la réduction de l’armée, la suppression de la marine et la levée des protections douanières mettront un terme au système de l’étatisation des ressources.En effet, une sévère protection douanière avait permis à Mu ムammad ‘Al 稜 d’écouler sur les marchés intérieurs, sans concurrence, tous les produits de la terre et de l’industrie. Les grossistes se fournissaient dans les entrepôts de l’État et revendaient leurs marchandises pour leur compte, car le commerce de détail échappait au monopole étatique.Abandonnée dès la fin du règne, la révolution économique ne laisse pas d’avoir des conséquences qui lui survivront: limitation du régime de l’iltiz m , destruction des anciens groupes dirigeants et développement des grandes villes en sont les résultats positifs. Ils sont contrebalancés par l’absence des nouvelles organisations sociales capables de prendre la relève du souverain vieillissant. Les monopoles ont entravé la naissance d’une bourgeoisie urbaine industrielle ou commerçante, qui eût pu s’adapter aux progrès de l’Europe machiniste.3. La dynastie de Mu size=5ムammad ‘Al size=5稜Si Mu ムammad ‘Al 稜 a profité du bouleversement provoqué par le passage de l’armée de Bonaparte pour précipiter le cours de l’histoire et entreprendre une révolution économique en Égypte, ses successeurs ramèneront le pays à un système de gestion plus traditionnel.Les premiers successeursÀ la fin de sa vie, en 1847, Mu ムammad ‘Al 稜 place son fils et brillant second, Ibr h 稜m, sur le trône, pour matérialiser l’accord par lequel la Porte reconnaissait les droits de l’aîné de la famille au trône. Mais Ibr h 稜m meurt neuf mois avant son père, le 10 novembre 1848. Son neuveu ‘Abb s Ier lui succède. Opposé à l’esprit novateur de ses prédécesseurs, il ferme les usines encore en fonctionnement, les écoles ouvertes par son grand-père, arrête les travaux en cours. Il est assassiné le 13 juillet 1854.Sa‘ 稜d, quatrième fils du fondateur de la dynastie et héritier de certaines de ses qualités de bâtisseur, accède au trône. Il centralise l’administration, améliore les méthodes de perception des impôts, de recrutement des conscrits et le fonctionnement de la justice. Deux réformes sociales auront d’importants effets dans l’avenir. L’une, promulguée en 1858, reconnaît aux particuliers le droit de posséder des terres à titre héréditaire et non plus seulement viager. De cette réforme naîtra la classe des gros propriétaires terriens qui, avec les souverains, dirigeront le pays. La seconde réforme accorde aux Égyptiens le droit d’accéder aux plus hauts échelons de l’armée. Elle favorise la formation d’officiers nationalistes dont l’activité sera déterminante dès la fin du siècle.Sous ce règne, les travaux d’utilité publique reprennent et le percement du canal de Suez débute sous la responsabilité de la «compagnie universelle» présidée par Ferdinand de Lesseps. La moitié des actions est achetée par la France, 44 p. 100 du total par l’Égypte. L’Angleterre refuse les parts qui lui sont offertes, par hostilité à un projet qui peut lui faire perdre la maîtrise de la route des Indes.Ces grands travaux dépassent les possibilités de financement local et contraignent le souverain à des emprunts qui vont bientôt permettre l’ingérence directe de l’Europe, plus particulièrement de l’Angleterre, dans les affaires nationales.Le 18 janvier 1863, Ism ‘ 稜l, fils d’Ibr h 稜m, succède à Sa‘ 稜d. Les difficultés de financement du canal de Suez et la peste bovine qui ravage l’Égypte de 1863 à 1865 l’acculent aux emprunts qui se succèdent, garantis par l’État ou par les propriétés de la famille royale. Sa vision de l’intérêt national l’incite à favoriser, en dépit des obstacles, non seulement la construction du canal, mais aussi les progrès de l’Égypte dans la voie de l’indépendance et de la participation à la politique internationale. En contrepartie d’un tribut deux fois plus lourd payé à la Porte, il obtient du sultan la reconnaissance du droit de succession à ses seuls descendants, par ordre de primogéniture, et, en 1867, le titre de khédive pour le souverain de l’Égypte avec le droit de promulguer des ordonnances et de conclure certains accords internationaux. En 1873, il devient entièrement responsable de l’organisation administrative, du pouvoir législatif et obtient la liberté d’augmenter le nombre de ses troupes à volonté. L’Égypte est désormais traitée par la Porte non plus en province mais en pays semi-indépendant.Le khédive Ism size=5‘ size=5稜lRépondant aux aspirations d’une élite, Ism ‘ 稜l accorde au peuple un semblant de participation à la gestion du pays. Il institue, dès 1866,une Assemblée consultative élue au second degré et formée de représentants des diverses circonscriptions. Les privilèges capitulaires que Mu ムammad ‘Al 稜 a ignorés ne pouvant les supprimer, sont restreints par l’établissement, en 1875, de tribunaux mixtes; composés de juges égyptiens aussi bien qu’étrangers, ils ont compétence en matière civile, commerciale et pénale. Nul n’échappe plus à la loi en recourant au consulat dont il dépend ou en alléguant l’incompétence des instances judiciaires. En 1881, des tribunaux nationaux sont créés qui enlèvent aux tribunaux religieux toutes les affaires ne relevant pas du statut personnel. Ces institutions laïques permettront la formation d’une élite d’avocats et de magistrats ouverts aux idées occidentales, et qui fournira à l’Égypte un grand nombre d’hommes politiques.Réforme de l’enseignement public, ouverture des premières écoles de filles, réouverture de l’École polytechnique et de l’École de médecine et multiplication des écoles publiques (leur nombre passe pendant le règne de 185 à 4 817), création d’instituts, de sociétés savantes et du Musée égyptien (en 1863, dirigé par Mariette), construction d’un vaste réseau de canaux (le canal de Suez est inauguré avec faste le 17 novembre 1869), de ponts, chemins de fer, lignes télégraphiques: la modernisation de l’Égypte s’en trouve accélérée.Aux dépenses productives s’ajoutent les charges des campagnes militaires. L’armée égyptienne se déploie d’abord en Crimée pour le compte de la Turquie, puis, en 1862, pour être agréable à Napoléon III, un bataillon égyptien participe à l’expédition contre le Mexique; enfin, en 1866, sous la conduite de généraux anglais, les troupes du khédive entreprennent des incursions en Afrique et conquièrent le Soudan jusqu’à la mer Rouge.Cependant, les dettes sont contractées dans les plus mauvaises conditions, à des taux usuraires. Pour éviter une catastrophe financière, en 1874, Ism ‘ 稜l vend les parts égyptiennes du canal de Suez à Disraeli, Premier ministre britannique. Mais deux ans plus tard, le souverain se trouve acculé à la faillite et contraint par les puissances européennes d’accepter l’installation, au Caire, d’un organisme chargé de contrôler les recettes du pays et leur affectation au remboursement des emprunts. C’est la Caisse de la dette publique. À l’ingérence étrangère dans les finances nationales s’ajoute, en 1877, la constitution d’un «Conseil des ministres» formé de trois personnes, un Français, un Anglais et un Égyptien; il s’ensuit une explosion nationaliste, qui prend l’année suivante la forme d’un soulèvement de l’armée, conduit par ‘Ur b 稜, l’un des premiers officiers supérieurs égyptiens promus à la suite des réformes de Sa‘ 稜d. Le khédive Ism ‘ 稜l, fort de l’appui de l’opinion publique, chasse ses ministres étrangers mais, sur l’ordre de la Porte poussée par la Grande-Bretagne, il doit abdiquer le 25 juin 1879. La fermentation des idées et de la conscience politique favorise le développement de la presse, des traductions d’ouvrages étrangers et d’une véritable «renaissance» (nahda ) arabe.Tawf 稜q, fils aîné d’Ism ‘ 稜l, accède au pouvoir selon le nouveau droit de primogéniture, avec l’agrément des Britanniques. ‘Ur b 稜, chef de l’opposition et d’un nouveau «Parti national», jouit d’un prestige considérable. À la suite d’élections, il devient ministre de la Guerre. Porté par le mouvement nationaliste populaire, il favorise la révolte armée contre l’ingérence étrangère. La flotte anglaise bombarde Alexandrie en juillet 1882. Le pays est occupé militairement par la Grande-Bretagne, ‘Ur b 稜 capturé le 13 septembre 1882 à Tell el-Kébir et l’armée licenciée.4. La domination anglaiseL’occupation (1882-1914)Désormais traitée en colonie par l’Angleterre, l’Égypte semble s’immobiliser sous une apparence de passivité; les désordres ruraux trahissent un mécontentement latent, cependant que les progrès techniques utiles à l’occupant certes, mais aussi au pays, vont commencer à modifier les paysages urbains, les habitudes et les façons de penser de la population.Juridiquement, le statut de l’Égypte n’est pas modifié. Le pays reste partie de l’Empire ottoman. Mais le tribut à la Porte cesse d’être payé, les forces armées anglaises assurent l’ordre et le consul anglais dirige souverainement le pays; Dufferin et Malet, puis Evelyn Baring (devenu plus tard lord Cromer) de 1883 à 1907, Gorst en 1907 et Kitchener de 1911 à 1914 porteront successivement ce titre. Des «conseillers» anglais sont placés aux postes clés et les souverains de la lignée de Mu ムammad ‘Al 稜 préservent, sous la menace permanente de leur déposition, la fiction de la continuité du pouvoir politique. Cependant, une convention signée à Londres en 1885 par les puissances capitulaires donne à l’Égypte le droit d’assujettir les étrangers à l’impôt foncier. De grands travaux de construction de barrages permettent d’étendre les surfaces cultivées. La culture du coton se développe et l’Égypte devient un fournisseur important des industries textiles anglaises.Cependant, au Soudan, les occupants anglo-égyptiens se heurtent à un nationalisme nouveau et agressif. Le pays se soulève, en 1881, sous l’impulsion d’un nouveau «prophète» musulman, le mahd 稜 Mu ムammad A ムmad ‘Abd All h, dont le pouvoir s’étend à la presque totalité du pays et menace l’Égypte. Le pays ne sera reconquis par Kitchener qu’en 1898; il sera placé sous condominium anglo-égyptien par l’accord du 19 janvier 1899, signé entre le gouvernement britannique et le Premier ministre égyptien, Boutros Ghali. Peu après, celui-ci payera de sa vie sa soumission aux conditions de l’occupant.L’hostilité latente s’exprime en de multiples incidents, dont le plus célèbre est le soulèvement de Denshewây. L’opposition, brisée par la défaite de ‘Ur b 稜, se reforme derrière Mustaf K mil qui réorganise, en 1907, l’ancien Parti national et réclame l’évacuation des troupes anglaises, l’établissement d’une constitution et d’un parlement indépendant des pressions britanniques.Le protectorat britannique (1914-1922)Mais les Anglais saisissent le prétexte de la guerre mondiale et de la présence turque dans le camp adverse pour établir officiellement leur protectorat sur l’Égypte, le 18 décembre 1914. Dès le lendemain, ils déposent le khédive ‘Abb s II Hilm 稜, qui avait succédé en 1892 à son père Tawf 稜q et se montrait trop favorable à l’opposition nationaliste. Son oncle Husayn, fils du khédive Ism ‘ 稜l, prend le titre de sultan, afin de marquer la fin de sa soumission à la Porte. À sa mort, en 1917, son frère Fu’ d lui succède. En fait, un haut-commissaire britannique détient la réalité du pouvoir, et la monnaie égyptienne est rattachée à la livre sterling.En 1918, les pays vaincus – l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie – sont contraints de renoncer au principe des capitulations et à leur place à la Caisse de la dette. Les Russes, trop préoccupés de leur révolution, se désintéressent de l’Égypte. Les nationalistes égyptiens, dirigés par Sa‘d Zaghl l, forment une «délégation» (wafd ) chargée de «négocier» à Londres les conditions de l’indépendance. Le gouvernement anglais refuse de les recevoir. Il fait arrêter Sa‘d Zaghl l et certains de ses compagnons. La réaction ne se fait pas attendre en Égypte, et, dès 1919, des émeutes éclatent, créant une atmosphère de désordre. L’Angleterre décide alors de renoncer au protectorat, par la déclaration du 21 février 1922, ne se réservant que quatre «points»: le droit d’assurer ses lignes de communications avec l’empire, la défense militaire de l’Égypte, la protection des étrangers et des minorités du pays et le Soudan. En fait, l’occupation militaire continuera en application des «points» ainsi réservés, et le haut-commissaire britannique restera tout-puissant.5. L’accession à l’indépendancePersistance de l’occupation militaireLe sultan Fu’ d prend le titre de roi, le 15 mars 1923, afin de marquer le nouvel état d’indépendance légale. Le 19 avril, une constitution est promulguée, remettant le pouvoir exécutif au roi, chef suprême de l’armée, et à ses dix ministres et le pouvoir législatif au Parlement formé du Sénat et de la Chambre des députés.Entre les deux guerres mondiales, le développement des ventes de coton favorise la constitution d’une épargne dans un groupe social hétérogène formé de commerçants, de propriétaires terriens et de représentants des professions libérales. En 1920, certains d’entre eux fondent la banque Misr, drainant les capitaux locaux et constituant une nouvelle bourgeoisie de la finance. Leur activité s’étend rapidement, non seulement sous forme de filiales en pays étrangers, mais aussi par la création d’industries légères variées (papier, tissage, cinéma, cigarettes). Ce groupe désormais puissant va peser sur les destinées politiques de l’Égypte jusqu’à l’institution de la république, en luttant pour l’indépendance politique, mais en s’accommodant d’une collaboration économique avec l’étranger.Cette nouvelle bourgeoisie est représentée par le parti du Wafd, dont le chef prestigieux, Zaghl l, était devenu Premier ministre dès l’indépendance en 1923. Elle obtiendra, en 1931, l’application d’un régime douanier qui protègera l’industrie nationale.Le règne du roi Fu’ d sera désormais marqué par sa lutte contre le Wafd qui lui dispute le pouvoir. Le souverain ne laissera le parti diriger le pays qu’à trois reprises, pour une durée totale de moins de deux ans. Par l’intrigue et les faveurs, le roi suscite des scissions dont naîtront de nouveaux partis, et forme une succession de cabinets de coalition anti-wafdistes dont la durée moyenne n’atteint pas un an. Jaloux de son autorité, le roi dissout à plusieurs reprises le Parlement. Il abolit la Constitution en 1930 et applique un régime d’exception jusqu’en 1935. À cette date, il est contraint de rétablir la Constitution sous la pression de l’Angleterre, inquiète de la pénétration italienne en Éthiopie. Après la mort du roi, le 28 avril 1936, le Wafd, auréolé par son opposition à l’arbitraire royal, connaît un triomphe aux élections législatives et forme un cabinet de coalition nationale du 10 mai 1936 au 31 juillet 1937.C’est durant cette période qu’est signé, le 26 août 1936, le traité réglant, en principe, les quatre «points» réservés dans la déclaration du 21 février 1922. Des accords complémentaires (8 mai 1937) mettent fin au régime préférentiel des capitulations dont jouissaient les étrangers. En fait, l’Égypte a été le dernier territoire à connaître ce régime déjà abrogé en Syrie-Liban, en Irak, en Palestine-Transjordanie depuis 1922, lors de l’instauration des mandats anglais et français, en Turquie, par le traité de Lausanne de 1923, en Perse en 1928. Les attributions des tribunaux consulaires et mixtes seront transmises, après une période transitoire de douze ans, aux tribunaux nationaux. Seul le statut personnel continuera de relever des tribunaux religieux des diverses confessions. L’abolition des capitulations rend l’Égypte maîtresse de sa législation financière.Rivalité anglo-italienneLe traité de 1936 permet surtout à l’Angleterre de combattre la campagne antibritannique que mène efficacement, en Égypte, l’Italie de Mussolini dont l’armée vient d’annexer l’Abyssinie. De fait, les concessions faites par Londres restent très limitées: les troupes britanniques sont maintenues en Égypte, encore que cantonnées dans la seule zone du canal de Suez avec liberté d’occuper l’ensemble du territoire en cas de danger international ou de guerre, et le statu quo est maintenu au Soudan en attendant la décision ultérieure des Soudanais.Ces accords divers calment, pour un temps, l’impatience de la population qui aspire de plus en plus à l’indépendance complète et attribue à la situation politique un malaise social croissant. En effet, dans les campagnes, des traditions millénaires sont bouleversées par le passage des méthodes d’inondation des champs à celles de l’irrigation. Les richesses nouvelles, nées de la vente du coton, sont réinvesties en terres, bien souvent, et de nouveaux propriétaires absentéistes et insoucieux viennent se substituer aux anciennes familles auxquelles s’identifiaient autrefois les groupes paysans. Dans les villes, une jeune bourgeoisie d’affaires occupe les premiers rangs de la société. Un esprit «moderniste» se répand, amenant par réaction le renforcement de l’attachement aux coutumes et aux mœurs traditionnelles. Les heurts ne vont plus cesser. Les ouvriers s’agitent; à partir de 1899, devant la précarité de l’emploi et la misère, ils organisent des grèves et constituent des syndicats. Mais les tensions d’origines diverses sont polarisées par l’occupation étrangère qui, bien que légalement allégée, n’en existe pas moins.La Seconde Guerre mondiale va d’ailleurs permettre aux Anglais de renforcer considérablement leur présence en Égypte. Inquiets de la réaction de sympathie diffuse dans le pays en faveur des forces de l’Axe, et de la résistance sourde du roi F r q, fils du roi Fu’ d, à leur demande d’entrée en guerre, ils favorisent brusquement leur ancien adversaire, le Wafd, dont les opinions anti-nazies s’étaient exprimées spontanément. Imposé au roi par l’occupant, avare de réformes sociales, le parti perd rapidement de son prestige acquis au cours de ses années d’opposition. Quand, en octobre 1944, le roi congédie brutalement le chef du Wafd, Na ムム s pacha, dont les Anglais n’ont plus besoin, aucune manifestation populaire ne se produira en faveur du parti.La fin de la guerre va entraîner le renvoi de milliers d’ouvriers employés par l’armée britannique, l’inflation et la montée des prix; les industries locales, un moment protégées, doivent à nouveau affronter la concurrence étrangère. Chômage et sous-emploi provoquent des grèves nombreuses, dès 1946. Les slogans politiques se mêlent aux revendications de salaire. On réclame l’«évacuation» et une législation équitable du travail.Triomphe du nationalismeLa désaffection à l’égard du Wafd, le mécontentement général favorisent la naissance ou l’activité de nombreux partis de toutes tendances. Le plus important est le groupement des « Frères musulmans», créé en 1929. Nationaliste et anglophobe, il réussit mieux que les autres partis à s’organiser et à encadrer ses membres dans les innombrables «cellules» qui quadrillent le royaume, à former les adhérents et les cadres de l’avenir, parmi les étudiants, à pénétrer les couches populaires des villes et des campagnes et même à s’implanter dans l’armée.Par ailleurs, l’Égypte commence à mener une action diplomatique indépendante. Elle parraine la naissance de la Ligue arabe (22 mars 1945), dont elle va assurer le contrôle; elle adopte une politique «neutraliste», en 1950, à l’occasion de la guerre de Corée, et, en 1951, en s’opposant au «plan de défense commune» projeté par les puissances anglo-saxonnes pour prolonger le pacte de l’O.T.A.N. et prend de plus en plus figure de chef de file des pays arabes.Cependant, à l’extérieur comme à l’intérieur, les désordres se succédent. L’armée égyptienne, en même temps que celle d’autres pays arabes, pénètre en territoire palestinien, le 15 mai 1948, afin de s’opposer à la création de l’État d’Israël, né de la veille, et déjà reconnu par les États-Unis et l’U.R.S.S. La rapide défaite des pays arabes est ressentie moins comme une humiliation que comme une trahison des dirigeants du Caire, incompétents et vénaux. L’armistice, signé le 24 février 1949, n’est considéré que comme une interruption momentanée des hostilités et non comme un préambule à la paix.Le souverain, déjà critiqué pour son train de vie dispendieux, est désormais tenu pour responsable de la défaite. Aussi cherche-t-il un appui populaire et pense-t-il le trouver en rappelant le Wafd au pouvoir, en janvier 1950. Ce parti, devenu ouvertement conservateur sous l’impulsion de son secrétaire général, Ser g el-d 稜n, pactise avec le roi et l’occupant britannique. Afin de calmer la colère populaire, Na ムム s pacha dénonce unilatéralement, en octobre 1951, le traité anglo-égyptien de 1936. L’Angleterre proteste et prend des mesures de sécurité dans la zone du canal où les incidents se succèdent. Une véritable guérilla s’organise contre les forces anglaises; manifestations et attentats se multiplient dans les villes. La surexcitation des esprits est extrême et se manifeste, le 26 janvier 1952, par des désordres et des incendies dramatiques au Caire. L’armée, seule capable de ramener l’ordre, prend alors conscience de sa force.Le calme revenu, le souverain révoque brutalement le cabinet wafdiste, «incapable de maintenir l’ordre», et instaure un gouvernement «fort» (‘Al 稜 M her). Mais les cabinets ne cessent de se succéder et un état de crise ministérielle permanente s’instaure. La situation semble sans issue. Le 23 juillet 1952, un groupe d’«officiers libres» réussit un coup d’État, entraînant l’armée, seule institution organisée.Cette «révolution égyptienne» imposera, quelques mois plus tard, la république en mettant fin au long règne de la dynastie de Mu ムammad ‘Al 稜.
Encyclopédie Universelle. 2012.